Dans Destins croisĂ©s, le personnage d’Ali surgit comme une ombre familiĂšre et pourtant mĂ©connue.

Ancien soldat marocain engagĂ© dans la guerre d’Indochine, il ne parle que trĂšs peu de ce qu’il a vu, vĂ©cu, perdu. Mais son silence en dit long. Il porte en lui une guerre que personne, ou presque, n’a jamais racontĂ©e Ă  voix haute.
Ali n’est pas un simple souvenir du passĂ©. Il incarne ce que les enfants et petits-enfants de ces hommes portent encore aujourd’hui : des silences lourds, des gestes brusques, des absences inexplicables dans les regards. Il est le visage de ces pĂšres qui ne racontent pas leurs cauchemars mais les transmettent malgrĂ© eux, parfois dans un mot, parfois dans un mutisme.

J’ai voulu qu’Ali reste digne. Pas brisĂ©, pas plaintif. Il a servi, il a survĂ©cu, mais il n’est jamais vraiment rentrĂ©. Comme beaucoup de ceux qui ont combattu loin de chez eux, dans une guerre complexe, sur une terre inconnue, Ali a laissĂ© une partie de lui lĂ -bas. Et ce n’est pas une question de nationalitĂ© ou d’oubli politique. C’est plus intime que cela. C’est une question de mĂ©moire intĂ©rieure, de blessures invisibles qui traversent le temps.
À travers lui, j’explore un autre versant du traumatisme : celui qui ne se dit pas mais qui se transmet. Car le vrai sujet, ce n’est pas seulement la guerre. C’est ce qu’elle fait aux corps, aux esprits
 et Ă  ceux qui grandissent aprĂšs. Le personnage principal de Destins croisĂ©s ressent cette tension sans forcĂ©ment en comprendre l’origine. Il hĂ©rite d’une douleur diffuse, d’un mal-ĂȘtre qu’il lui faudra dĂ©mĂȘler pour comprendre sa propre histoire.

Ali ne demande rien, sinon qu’on le laisse en paix. Mais l’Histoire a cette Ă©trange capacitĂ© Ă  ressurgir, mĂȘme quand on veut l’enfouir. Il veut servir encore, ĂȘtre utile, fidĂšle Ă  ses engagements. Mais il le comprend peu Ă  peu : on ne peut pas se reconstruire en trahissant ce qui nous fonde.

« Ali hĂ©site. Il veut servir la France, mais pas Ă  n’importe quel prix. En tout cas, pas aux dĂ©pens de ses convictions et des valeurs auxquelles il est attachĂ©. » (Destins croisĂ©s, p. 24)