Je nâai pas Ă©crit Destins croisĂ©s pour raconter une simple histoire.
Jâai Ă©crit pour survivre.
Je lâai Ă©crit comme on ouvre un coffre fermĂ© depuis plusieurs gĂ©nĂ©rations.
Un coffre dans lequel on trouve des médailles rouillées, des lettres jamais envoyées,
des mots quâon a tus parce quâils brĂ»laient trop fort dans la gorge de ceux qui nous ont prĂ©cĂ©dĂ©s.
Jâai racontĂ© la guerre. Mais ce nâĂ©tait pas la mienne.
Jâai prĂȘtĂ© mes mots Ă Ali, Ă Najat, Ă HubertâŠ
Et pourtant, câest mon sang qui coule sous chaque virgule.
Mon silence qui vibre entre chaque paragraphe.
Mon pĂšre que je nâai pas su comprendre.
Et peut-ĂȘtre, ma fille que je tente de protĂ©ger⊠sans la nommer.
𧏠Une fiction codée
Je suis mathématicien de formation.
Mais je crois aussi aux silences qui ne sâexpliquent pas, aux rĂȘves qui disent la vĂ©ritĂ© mieux que la logique.
Alors jâai glissĂ© des codes dans mon roman.
Des dates.
Des prénoms.
Des lieux.
Des chiffres qui ne sont pas lĂ par hasard.
Des symboles à décrypter.
Des clés pour ceux qui osent chercher.
Comme un scientifique qui cache un poÚme dans une équation.
Comme un enfant zouhri qui voit au-delĂ des apparences.
đïž Mei
Elle traverse tout le livre, discrĂšte mais essentielle.
Elle est là dÚs le début, aux cÎtés de Hubert.
Elle aime, doute, sâinterroge. Elle incarne la tendresse lucide, la beautĂ© blessĂ©e, la mĂ©moire sans racine.
Elle porte en elle un fardeau invisible, celui des ponts fragiles entre deux cultures.
Elle avance sur un fil, entre deux mondes, entre deux vérités.
Elle sâappelle Mei.
Ce prĂ©nom, je ne lâai pas choisi au hasard.
En langue hmong, Mei signifie « Moi ».
Mais câest aussi une clef secrĂšte.
Une passerelle vers le moi profond, vers lâenfant que jâai Ă©tĂ©, vers lâadulte que je suis devenu.
Elle est le miroir inversĂ© de celle que je nâai pas nommĂ©e â ma fille â
Et pourtant, elle est lĂ , dans chaque regard, dans chaque silence,
Comme une présence cachée entre les lignes,
Un message intime glissĂ© au cĆur du rĂ©cit.
Je nâai pas voulu Ă©crire son prĂ©nom.
Parce que ce livre nâest pas une offrande publique.
Câest une lettre masquĂ©e, un acte de rĂ©paration,
Pour elle, et pour tous les enfants qui héritent sans le savoir des combats inachevés de leurs parents.
đ§ Une Ćuvre transgĂ©nĂ©rationnelle
Je me suis longtemps demandé pourquoi certains enfants portaient des douleurs qui ne leur appartiennent pas.
Pourquoi le chagrin dâun pĂšre mort en silence peut renaĂźtre dans le corps dâun fils qui ne lâa jamais vu pleurer.
La science parle de transmission épigénétique.
Les psychanalystes parlent de fantĂŽmes familiaux.
Moi, jâen ai fait un roman.
Une cartographie invisible du trauma hérité, mais aussi de la possible réconciliation.
đ± Ce que je voulais dire, sans le dire
Je voulais dire que lâexil laisse des traces mĂȘme chez ceux qui ne sont jamais partis.
Que le silence des pĂšres est parfois plus bruyant que mille cris.
Que la guerre ne finit jamais lĂ oĂč on croit.
Et que la littĂ©rature est peut-ĂȘtre le seul lieu oĂč lâon peut rĂ©parer ce qui a Ă©tĂ© brisĂ© avant mĂȘme notre naissance.
Alors jâai Ă©crit Destins croisĂ©s.
Pas pour raconter.
Mais pour transmettre autrement.
Pas pour parler de moi.
Mais pour que celle qui viendra aprĂšs moi ne porte pas ce que je nâai pas su dĂ©poser.
