Dans Destins croisĂ©s, Najat incarne une rĂ©alitĂ© psychologique trop souvent mĂ©connue : celle de personnes prisonniĂšres de leurs Ă©motions, dont les rĂ©actions disproportionnĂ©es cachent en rĂ©alitĂ© des traumas non guĂ©ris. Sa colĂšre, dĂ©crite comme noire et immĂ©diate, nâest pas un caprice ou un dĂ©faut de caractĂšre, mais le fruit dâun mĂ©canisme neuro-Ă©motionnel complexe, que la science commence Ă mieux comprendre.
« Najat ressent une certaine colĂšre quâelle nâarrive pas Ă expliquer ou parfois Ă exprimer. Cela se manifeste tantĂŽt par de la mĂ©fiance, tantĂŽt par de lâagressivitĂ©. Câest souvent une rĂ©ponse incontrĂŽlable et immĂ©diate au sentiment dâabandon qui ne cesse dâaccroĂźtre. »â Destins croisĂ©s, p. 36
đ Quand le cerveau Ă©motionnel prend le dessus
Le cerveau humain est constitué de plusieurs zones impliquées dans la régulation émotionnelle. Parmi elles :
– Lâamygdale : elle dĂ©tecte les menaces et dĂ©clenche une rĂ©ponse Ă©motionnelle rapide (fuite, attaque, sidĂ©ration).
– Lâhippocampe : il stocke les souvenirs Ă©motionnels et les associe Ă des contextes vĂ©cus.
– Le cortex prĂ©frontal : il aide Ă rĂ©guler les Ă©motions, Ă rĂ©flĂ©chir, Ă relativiser.
Chez les personnes ayant vĂ©cu des traumatismes affectifs (rejet, abandon, trahison), lâamygdale peut devenir hyperactive, câest-Ă -dire quâelle rĂ©agit intensĂ©ment mĂȘme Ă de faibles signaux de menace. Le cortex prĂ©frontal, quant Ă lui, a du mal Ă reprendre le contrĂŽle. RĂ©sultat : la personne rĂ©agit de façon « excessive », car son cerveau est littĂ©ralement court-circuitĂ© par une alarme Ă©motionnelle. Câest exactement ce que vit Najat : une colĂšre explosive, des pensĂ©es obsĂ©dantes autour de lâinjustice, et une difficultĂ© Ă se faire comprendre.
𧏠Hypersensibilité et mémoire traumatique : une réalité scientifique
LâhypersensibilitĂ© Ă©motionnelle, souvent perçue Ă tort comme une fragilitĂ©, a en rĂ©alitĂ© un fondement neurobiologique. Les recherches en neurosciences et en psychologie montrent que les personnes hypersensibles ont :
- Un seuil de tolérance émotionnelle plus bas,
- Une mémoire plus vive des expériences douloureuses,
- Une tendance Ă la rumination mentale.
La psychiatre Muriel Salmona, spĂ©cialiste de la mĂ©moire traumatique, explique que certains souvenirs Ă©motionnels ne sont pas intĂ©grĂ©s dans le rĂ©cit de vie, mais restent Ă vif, prĂȘts Ă exploser Ă la moindre rĂ©activation. Ce qui crĂ©e ce sentiment dâinjustice insupportable et ce besoin impĂ©rieux de rĂ©agir.
â ïž Quand lâentourage ne comprend pas : le cercle vicieux du malentendu
Le drame vĂ©cu par Najat ne vient pas seulement de ses propres Ă©motions, mais de lâincomprĂ©hension quâelle suscite autour dâelle. Son entourage, souvent dĂ©muni face Ă ses rĂ©actions intenses, peut la juger, se distancier, voire lâaccuser de chercher les conflits. Or, le fait de ne pas ĂȘtre comprise rĂ©active encore plus fort la blessure originelle : celle dâĂȘtre rejetĂ©e ou trahie.
đŹ Vers une lecture empathique et thĂ©rapeutique
Comprendre scientifiquement ce type de fonctionnement émotionnel ne veut pas dire excuser tous les comportements, mais cela ouvre la porte à une approche plus humaine et plus thérapeutique :
La psychothérapie (notamment TCC, EMDR ou ICV) peut aider à désactiver ces réactions automatiques.
Des pratiques comme la pleine conscience, la respiration consciente ou lâĂ©criture expressive permettent de renforcer le cortex prĂ©frontal, câest-Ă -dire la capacitĂ© de rĂ©gulation.
Le soutien de lâentourage, sans jugement, peut agir comme un facteur de rĂ©silience majeur.
đ Conclusion : et si la colĂšre Ă©tait un appel Ă lâamour ?
Destins croisĂ©s nous montre que certaines colĂšres ne sont pas des armes, mais des pleurs silencieux, des cris de douleur dâune enfance blessĂ©e ou dâune dignitĂ© bafouĂ©e. DerriĂšre chaque rĂ©action dite « exagĂ©rĂ©e », il y a souvent un besoin immense de rĂ©paration, de reconnaissance et de sĂ©curitĂ©.
Dans un monde qui valorise la maĂźtrise de soi, peut-ĂȘtre devons-nous aussi apprendre Ă Ă©couter les dĂ©sĂ©quilibres Ă©motionnels comme des signaux de dĂ©tresse Ă accueillir, plutĂŽt quâĂ condamner.
