Être binational, c’est habiter deux mondes à la fois. C’est grandir entre deux langues, deux histoires, deux imaginaires. C’est une richesse intérieure immense — mais parfois difficile à porter.

Il y a l’arabe, langue de l’intime, des prières et des berceuses, langue ancestrale pleine d’images et de métaphores. Et il y a le français, langue de l’école, des livres, de la République. Deux langues que tout semble opposer — dans leur rythme, leur structure, leur histoire — mais qui ont en commun une même profondeur, une même beauté poétique, une même capacité à dire le monde.

Et pourtant, entre ces deux langues, il faut apprendre à circuler. Car elles portent aussi en elles le poids d’un passé commun, celui de la colonisation. Un passé complexe, parfois douloureux, que les héritiers de ces deux mondes ressentent encore aujourd’hui. D’un côté, des blessures mal refermées. De l’autre, un effort sincère pour construire un avenir commun. Il ne s’agit pas d’accuser, mais de reconnaître ce qui reste inscrit dans les mémoires — collectives et intimes.

L’école de la République a été pour beaucoup d’entre nous une chance inestimable. Elle nous a donné des outils, des repères, une ouverture sur le monde. Mais lorsqu’on vient d’un ailleurs — qu’il soit culturel, linguistique ou social — l’école peut parfois nous sembler lointaine. Non par rejet, mais par décalage. Il faut du temps pour s’approprier les codes, pour oser prendre la parole, pour se sentir pleinement légitime. L’école n’est pas l’ennemie, bien au contraire : elle est souvent le premier lieu d’émancipation. Mais elle gagnerait parfois à mieux entendre ces voix multiples, à valoriser cette richesse d’expérience que porte chaque élève issu de la diversité.

Être binational, ce n’est pas être à moitié. C’est être deux fois entier. C’est porter en soi la capacité de relier, de comprendre, de construire des ponts. C’est voir plus loin, plus large, parfois plus clair. C’est souffrir parfois, de ne pas toujours être compris, mais c’est aussi espérer — plus fort que les autres.

Car dans cette double appartenance, il y a une énergie nouvelle. Une manière d’habiter le monde avec intensité. Une volonté de rassembler, plutôt que de diviser.

« Je ne suis pas entre deux mondes, je suis le lien entre eux. »

Zouber EL MALTI