Wissem, Tsakdel, Aymen et Julien, quatre élèves du collège Robert Doisneau à Chalon-sur-Saône, ont souhaité me poser des questions au sujet de mon livre Parcours du combattant, tel père tel fils dans le cadre d’un projet pédagogique entre la classe 3E du collège et le journal JSL de Chalon. Auparavant, ce dernier a publié un résumé de cet échange (lire par ailleurs) mais cette fois-ci, je vous propose l’interview en version complète.
Comment avez-vous été licencié ?
Bonjour, permettez-moi d’abord de me présenter. Je m’appelle Zouber EL MALTI, 40 ans. Aujourd’hui je suis formateur informatique après avoir été professeur en technologie puis en mathématiques dans l’éducation nationale tout en sachant que j’ai également effectué des études supérieures en génie électrique et informatique industrielle. J’ai également dirigé une association de soutien scolaire entre 2011 et 2016. Pour répondre à votre question, il ne s’agit pas d’un licenciement. Il s’agit plutôt d’un refus d’embauche à cause de mon patronyme suite à plusieurs candidatures. Il faut dire que c’est un combat de plusieurs années et ça ne date pas d’aujourd’hui. J’ai été victime de discrimination à l’embauche plusieurs fois mais je n’ai jamais porté l’affaire devant la justice faute de preuves suffisantes ou de manque de courage parfois. Aujourd’hui, les choses ont changé et je peux enfin prouver ces discriminations après avoir fait du testing avec deux CV identiques où seuls le nom et la photo changent.
Collège : Comment vous sentez-vous après avoir vécu cette histoire ?
Le sentiment est mitigé. J’éprouve un ras le bol général puisque la discrimination n’est pas un fantasme mais bien une réalité que beaucoup de gens ignorent ou ne mesurent pas l’impact que cela peut avoir sur la personne. Le sentiment d’être rejeté voire exclu de la société pour des raisons comme la couleur ou l’origine est très difficile à vivre au quotidien. Néanmoins, je reste malgré tout positif en disant que les choses peuvent changer même si cela reste tabou. En revanche le fait d’en parler aujourd’hui, c’est déjà un bon signe. Il faut simplement que toutes les personnes qui souffrent du racisme ou de la discrimination osent en parler et ne reculent pas devant ces faits condamnables par la loi.
Qu’est-ce que vous espérez après avoir écrit ce livre ?
J’ai toujours voulu écrire un livre pour partager mon expérience qui concerne cette galère en matière d’emploi en France. Je ne trouve pas normal que mes origines ou ma couleur soient un handicap. Bien au contraire. J’ai toujours pensé et je pense toujours que ma différence est une richesse puisque j’ai une double culture qui me permet d’enrichir ce pays que nous aimons tous. Mon livre fait le parallèle entre le combat contre le nazisme et les ségrégations de mon père (paix à son âme) qui était ancien combattant dans l’armée française et mon combat contre le racisme et les discriminations que j’ai subies en France. Honnêtement, je n’espère rien du tout de ce livre si ce n’est réveiller les esprits et les pouvoirs politiques en place pour qu’on lutte ensemble contre le racisme et les discriminations car à mon avis ça sera le combat de plus en plus de gens désormais malheureusement surtout quand on voit la montée des extrêmes chez nous en France et partout dans le monde d’ailleurs.
Est-ce difficile d’écrire un livre ?
Je ne sais pas si c’était facile d’écrire ce livre ou pas mais ce qui est sûr c’est que mon ouvrage vient du cœur et quand ça vient du cœur, c’est sincère donc plus fluide et nécessite moins de prise de tête je dirais.
Avez-vous porté plainte contre la personne ?
Effectivement, j’ai porté plainte contre 3 écoles françaises pour discrimination à l’embauche le 29 août dernier et j’attends toujours la réponse.
Que pensez-vous des personnes comme ça ?
Pour moi c’est inadmissible que mon nom soit un handicap surtout à compétences égales. La discrimination n’est pas une opinion mais un délit passible d’emprisonnement et d’une amende. D’ailleurs l’article 122-145 du code de travail est clair là-dessus car : « Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire (…) en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son patronyme ou en raison de son état de santé ou de son handicap. » Toute personne donc qui pratique la discrimination doit être jugée et condamnée dans une société de justice qui prône la liberté, l’égalité et la fraternité comme message et symbole.
Êtes-vous fier d’avoir écrit ce livre ?
Ce n’est pas simplement une fierté que j’éprouve en écrivant ce livre mais aussi un soulagement puisque j’avais l’impression d’avoir retiré un fardeau sur mes épaules même si le chemin reste long évidemment. Mais comme j’ai dit auparavant, le fait de dénoncer les discriminations et d’en parler librement c’est déjà un bon début et il faut le faire. J’espère aussi que d’autres voix s’élèveront contre ce phénomène et je suis prêt à travailler avec n’importe quelle personne qui voudrait lutter contre le racisme et les discriminations pour un monde plus juste où les différences ne seront pas vues comme un handicap mais un atout pour notre pays.